À la découverte des écomatériaux : les fibres de fruits et de légumes

À la découverte des écomatériaux : les fibres de fruits et de légumes

INDEX DESIGN clôture son dossier sur les écomatériaux en s'intéressant aux caractéristiques des pelures de carottes, d'orange et de noix de coco. Comment ces déchets agroalimentaires peuvent-ils s'intégrer à la production de matériaux de construction, d'objets du quotidien ou de mobilier design?

Design d'objets et de mobilier faits de fibres et d'écorces de fruits

Le designer néerlandais Jorrit Taekema, inspiré par un matériau en fibres de noix de coco et de latex naturel nommé Cocolok® et développé par Enkev, a décidé de créer un fauteuil compostable. Le modèle est construit à l'aide de couches successives de fibres comprimées à différents degrés. Sa structure interne devient alors plus rigide que l'enveloppe moelleuse qui habille la chaise.

LAYER CHAIR par Jorrit Taekema / Oeufrier en Cocolok par enKev

En 2010, le designer israélien Ori Sonnenschein gradue en design industriel à l'Académie d'art et design de Bezalel et crée de la vaisselle biodégradable faite à partir de pelure d'agrumes. Sa ligne « Solskin Peels » comprend des assiettes, des cuillères, des tasses et des récipients qui sont à la fois durables, légers, résistants à l'eau et respectueux de l'environnement. Cette ligne au style brut et organique questionne la matérialité et met sur la table une texture, des couleurs et une odeur inusitées.

SOLSKIN PEELS par Ori Sonnenschein

En 2012, Alkesk Parmar transforme l'écorce rejetée par les producteurs de jus d'orange en un matériau viable, moulable et rigide. Avec 30 millions de tonnes d'oranges pressées annuellement dans le monde, la matière première est plus que disponible. Le matériau APeel  est pensé afin que sa production nécessite le moins d'eau, d'énergie et d'argent possible. Il utilise les particules des écorces séchées et de la pectine présente dans l'écorce comme agglomérant. Lorsque frotté, le matériau libère ses odeurs d'agrume. APeel peut être moulé par compression, coulé et extrudé, et lorsqu'il se présente sous forme de feuille, on peut le découper au laser ou l'usiner sur des machines en bois standard.

APeel par Alkesk Parmar

Des fibres de carottes en remplacement de matériaux issus du pétrole

Au Royaume-Uni, la compagnie CelluComb a développé le Curran®, un matériau créé à partir de carottes réduites en purée dont sont extraites les fibres qui peuvent ensuite être moulées, utilisées comme revêtement ou mélangées avec des résines. C'est une façon de substituer partiellement le pétrole dans la production de fibres de carbone (le Curran contient 20 % de pétrole pour 80% de fibres de carottes).

Au Québec, Mathieu Robert étudie la fibre de carottes comme remplacement aux matériaux conçus à base de pétrole dans le domaine automobile et résidentiel. Pour ce chercheur en écocomposites polymères à l'Université de Sherbrooke, l'utilisation des déchets alimentaires comme les pelures de légumes-racines dans les matériaux de construction a un double impact : on diminue l'utilisation de matériaux synthéthiques dans le domaine du bâtiment tout en aidant à la gestion des matières résiduelles.

En janvier 2018, le 3IT de Sherbrooke et le CITÉ (Carrefour d'innovation en technologies écologiques) de Granby - dont Mathieu Robert est le directeur scientifique -, ont reçu un fond de 600 000$ provenant de l'Agence de développement économique du Canada afin de poursuivre leurs études sur le développement d’écomatériaux et de bioplastiques. À Granby, les montants reçus du fédéral serviront à faire l’acquisition d’équipements de pointe, le dernier maillon manquant à la chaîne de recherche du CITÉ. (1)

L'avenir des écomatériaux

Les écomatériaux sont nombreux. On peut isoler une maison avec de la paille ou de la laine de mouton, la construire en chanvre, la meubler en carton, s'éclairer avec une lampe en mycélium ou tirer son énergie à partir de façades en micro-algues. Bref, les écomatériaux sont aussi nombreux qu'utilitaires. Qu'ils soient issus de traditions anciennes ayant fait leurs preuves, comme les toitures en ballots d'algues au Danemark, ou bien qu'ils soient développés avec les dernières technologies, comme les eco-composites polymères, les exemples démontrant que les écomatériaux sont avant tout des matériaux à part entière ne manquent pas. 

Mais si ces ressources locales, durables et biodégradables qui respectent l'environnement et favorisent le design circulaire sont à portée de main, pourquoi l'industrie de la construction, les architectes et les designers continuent-ils de travailler avec des matériaux polluants et dommageables pour la santé et l'environnement?

Pour changer leurs habitudes, leurs choix de fournisseurs et leurs connaissances, les professionnels de l'industrie doivent avant tout s'informer sur les propriétés bénéfiques de ces écomatériaux, en plus d'encourager l'éducation des nouvelles générations d'architectes et de designers qui sortent généralement de l'école sans connaissance sur le sujet. Il s'agit également d'investir collectivement dans ces nouvelles ressources afin de les rendre plus accessibles. Dans un marché aujourd'hui saturé par des matériaux ni recyclables, ni biodégradables et dont la qualité et la durabilité deviennent un problème, les écomatériaux ont assurément leur place. 

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Sources: 
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(1) Article du Granby express du 25 janvier 2018
Le Rendez-vous des Écomatériaux à Asbestos, octobre 2017. Conférence de Mathieu Robert, chercheur à l'université de Sherbrooke.
Matériaux & design produit, Chris Lefteri, Dunod, 2014. 

Photo d'ouverture: APeel par Alkesk Parmar

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