ID/ Quelle était la vision principale derrière le concept de la place des Montréalaises, et comment cette vision a-t-elle influencé vos choix de design?
PL/ La vision du projet avait comme objectif principal de mettre la femme au cœur de l’approche conceptuelle. Chaque composante du site constitue une séquence de gestes assumés et sensibles, où les lignes de force ont été dessinées pour célébrer la femme dans toute sa puissance et sa vulnérabilité.

Dans un geste unificateur, le projet propose la création d’un objet central, soit le pré fleuri, qui retisse le site dans son contexte tout en offrant une perspective nouvelle sur la ville. Une topographie douce s’élève pour faire disparaitre l’autoroute et les voitures afin de faire place à un lieu de recueillement, de rassemblement et d’affirmation d’une mémoire féminine vivante. 21 plantes émergent des 80 perforations pour faire apparaître le pré fleuri, souple et changeant à travers les saisons en référence à la force et à la résilience des femmes. Ce gigantesque bouquet de fleurs fait de ce lieu un espace suspendu permettant d’avoir une perspective nouvelle sur la ville, une perspective nouvelle qui témoigne de la volonté collective de ne pas oublier.

ID/ Comment avez-vous intégré l’histoire des Montréalaises et leur héritage féministe dans la conception paysagère et spatiale du lieu?
PL/ Un dialogue se crée entre paysage, architecture et art pour révéler l’histoire et les destins pluriels des femmes à l’honneur. La proposition offre une stratification composée d’éléments identitaires, d’objets architecturaux et paysagers commémoratifs permettant une séquence de destinations expérientielles. La verrière de Marcelle Ferron est mise en scène et s’aligne avec la trame paysagère qui unifie l’ensemble des composantes. Une citation de Afua Cooper inscrite au sol annonce la place Marie-Josèphe Angélique, symbole de la libération.

De plus, afin de créer une expérience poétique et inclusive, le nom de 21 femmes est devenu le matériau conceptuel et l’armature de la démarche commémorative. À travers un processus de distillation et de fragmentation des noms et des lettres qui les composent, un hommage est rendu à l’histoire des femmes de Montréal reflétant le passé, le présent et le futur. Le Devoir de mémoire, ce miroir des Montréalaises qui prend la forme d’un cylindre emblématique, rend hommage aux pionnières ayant contribué au développement de la ville et aux victimes ayant subi des injustices. Cet objet puissant engage à la réflexion, à l’introspection. Les lettres extraites du miroir sont apposées sur les contremarches de l’emmarchement. La poésie des fragments est ludique et ouvre à la création inclusive de nouveaux noms. Célébrer les femmes à travers l’espace public est plus qu’une occasion de rendre hommage ou de commémorer, c’est un acte puissant d’inclusion ainsi qu’un geste féministe.

21 femmes nommées s’élèvent et permettent à des milliers d’autres d’avoir une perspective nouvelle sur la ville.
ID/ Quels ont été les principaux défis techniques et créatifs rencontrés et comment ont-il été surmontés?
PL/ La création du miroir est le résultat d’une volonté de camoufler l’édicule du MTQ. L’objet très apparent était intouchable pour des raisons techniques et des enjeux de sécurité. La forme ronde du miroir a été développée pour faire disparaître cet objet. Sa présence et son importance dans le récit de commémoration se sont forgées tranquillement jusqu’à devenir l’un des objets les plus significatifs de reconnaissance des femmes. Comme exprimé par un membre du comité de commémoration dès janvier 2019, le miroir des Montréalaises s’exprime « Tel un cloître inversé, le miroir est un puissant geste d’inclusivité qui reflète tout ».

Le plan incliné a été mis en place afin de résoudre une multitude de problématiques fonctionnelles et d’enjeux structuraux. Sa forme oblique et sa topographie ont comme objectif de générer des seuils reconnectant le site à son contexte. Il camoufle la bretelle de la sortie de l’autoroute Ville-Marie et relie le champ de Mars, permettant la réparation du tissu urbain. Comme il est situé au-dessus de l’autoroute, les éléments structuraux qui le soutiennent sont dissimulés sous le pré fleuri et constituent une réelle prouesse d’ingénierie. La colonne architecturale qui soutient l’extrémité sud ainsi que la perforation du plan incliné contribuent à l’expérience en reliant les différents niveaux et sous-espaces. Les différentes composantes techniques s’inscrivent dans l’espace en ajoutant des nuances subtiles à l’hommage fait aux femmes.

ID/ Le projet est le fruit d’une collaboration entre architectes paysagistes, architectes, ingénieurs et artistes. Comment cette interdisciplinarité a-t-elle nourri le processus de création?
PL/ Dès l’étape du concours, une synergie entre l’équipe de conception composée d’architectes, d’architectes paysagistes et d’une artiste, a été cruciale pour permettre la création d’un concept puissant mettant les femmes en premier plan sur l’ensemble du site. Le jury a décelé les qualités du projet issues de cette collaboration imaginative fluide et sans frontière :
- Une identité forte et une écriture éminemment contemporaine caractérisent ce projet.
- Le propos lié à la commémoration est bien articulé, tant sur le plan des gestes conceptuels que de la symbolique du pré fleuri.
- Le champ fleuri agit comme belvédère et offre une multitude de vues vers le centre-ville et la Cité administrative. La proposition se démarque sur le plan de ses qualités expérientielles et perceptuelles.

La contribution des ingénieurs a permis la réalisation complexe des composantes imaginées. De plus, une collaboration accrue entre les différents professionnels, les multiples consultants (Ombrages, etc.), les différents organismes (STM, MTQ, etc.), et les comités de travail de la Ville (comité de verdissement, de commémoration, de design, de programmation, etc.) s’est organisée de façon collégiale afin de réaliser un projet exemplaire dans toute sa symbolique identitaire et sa complexité technique.
Ensemble, Lemay, Angela Silver et Atkins Réalis ont su faire en sorte que l’intégralité des composantes se lisent comme un tout, que l’expérience soit ultime et cohérente.
ID/ À votre avis, en quoi la place des Montréalaises marque-t-elle un tournant dans la manière de concevoir les places publiques à Montréal?
PL/ L’espace se décline en une multitude de gestes consciencieux grâce à une stratification songée, étudiée et conceptualisée de façon rigoureuse. Un devoir de réintégration de la biodiversité s’ajoute à l’hommage aux femmes sur le site pour favoriser la santé et le bien-être des citoyens. Une sélection stratégique des végétaux répondant à différents traits et strates fonctionnels et de communautés végétales a été mise en place pour assurer une résilience aux changements climatiques. En plus de retisser la ville et de favoriser la connectivité sécuritaire et active, le projet propose un lieu rassembleur qui s’inscrit dans l’histoire de Montréal.

Le sujet de la place est universel et son traitement est éminemment contemporain, ce qui lui confère un potentiel de rayonnement international pour la ville de Montréal. Le sujet fait éclater le plafond de verre et s’inscrit dans un acte puissant d’inclusion, en plus d’être un geste féministe. L’espace accueille la population et la place s’anime d’une vie urbaine dans toute sa diversité. Elle agit comme un témoin du changement et favorise la rencontre, le rassemblement, la manifestation et l’engagement pour échanger autant dans la vulnérabilité que la force, dans la gaieté que la bienveillance. C’est une célébration historique mettant de l’avant une mémoire féminine vivante.
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Crédit photos : Vincent Brillant





