Guillaume Fafard: " C’est motivant de voir que la démocratisation de l'architecture est primée"

Guillaume Fafard: " C’est motivant de voir que la démocratisation de l'architecture est primée"

Le Prix Pritzker, remis cette année aux architectes français Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, récompense leur travail, qui répond aux urgences écologiques aussi bien que sociales, et vise à améliorer la vie du plus grand nombre. La jeune firme québécoise Quinzhee, spécialisée dans le logement urbain, repense elle aussi la ville afin de la redessiner plus humaine et plus soutenable. Discussion avec Guillaume Fafard, architecte fondateur de Quinzhee.

I.D/ Vous vous décrivez comme une firme d’architecture qui s’amuse à concevoir les projets autrement. Ça veut dire quoi faire autrement?

G.F/ Faire autrement c’est revoir le modèle d’architecture existant, c’est se demander comment on peut redorer le modèle de la ville et réfléchir à notre consommation d’espace. Je pense que notre rôle en tant qu’architecte c’est de remettre les choses en question, de questionner nos acquis. On tente de se repositionner continuellement et de faire se questionner nos clients avec nous.

I.D/ Que représente le Prix Pritzker remis cette année à Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal pour Quinzhee?

G.F/ C’est une vraie motivation pour une jeune firme comme nous et pour de nombreux architectes. C’est le message que l’architecture n'est pas seulement mercantile, qu'elle peut être autre chose. C’est motivant de voir que sa démocratisation est primée à travers leur travail. On fait des projets difficiles, peut-être parfois moins glamour que d’autres firmes, mais c’est toujours apprécié lorsque ce travail est reconnu par nos pairs.

Projet de Lacaton & Vassal / PHOTO: Fabien Cottereau

Grand Parc, un projet de logements sociaux à Bordeaux, en France, où les architectes ont ajouté de l'espace aux unités grâce à l'ajout de terrasses ensoleillées, sans déplacer les locataires.

I.D/ Le Jury du Prix Pritzker a qualifié l’architecture d'Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal d’« aussi solide dans ses formes que dans ses convictions, [d’]aussi transparente dans son esthétique que dans son éthique. » C’est quoi pour vous l’éthique en tant qu’architecte?

G.F/ Nous faisons du logement urbain. Dans notre travail de tous les jours, même si le locatif n’est pas traité par les promoteurs de la même façon que le condomium, nous travaillons à créer des espaces de vie qui rendent plus heureux, peu importe que tu sois locataire ou propriétaire.

Nous passons tous la majeure partie de notre vie à l’intérieur de bâtiments, donc il est capital de bien les concevoir. Notre mission est de construire des espaces pour des humains. C’est ça pour moi l’éthique: de penser un espace pour un être humain, peu importe son genre, son origine, sa classe sociale.

I.D/ Anne Lacaton explique que « le préexistant a de la valeur si on prend le temps et l'effort de le regarder attentivement » (1). Quelle place prend l’existant dans votre travail?

G.F/ Durant la dernière année, nous avons fait plusieurs projets de rénovation. Nous avons aussi obtenu l’été passé notre certification Passivhaus, et désormais 4 membres de notre équipe sont certifiés. Nous avons de plus en plus de projets et cela nous a amené à prioriser ce que nous souhaitions. C’est sûr que dans l’idéal, nous aimerions faire essentiellement de la rénovation urbaine selon les normes Passivhaus.

Mais l’existant ce n’est pas seulement le bâti, c’est aussi le terrain, l’environnement autour. Lors d’un de nos projets en construction Passivhaus, pour venir chercher le plus de gain solaire, il aurait fallu couper les arbres devant les fenêtres, mais ça il n’en était pas question. Donc il y a aussi une question de bon sens à prendre en compte, au-delà des normes d’efficacité énergétique.

Projet de Lacaton & Vassal / PHOTO: Philippe Ruault

La Maison Latapie. première expérience d’architecture bioclimatique pour les architectes. Grâce à la mise en œuvre de panneaux translucides en polycarbonate à l’arrière de la maison, celle-ci gagne en surface à l’usage de toute la famille. Ce dispositif à faible coût permet d’éclairer et de ventiler naturellement l’habitation.

I.D/ Pour Lacaton & Vassal, les matériaux ne sont pas un préalable, ce qui les intéresse c’est plutôt à quoi les matériaux servent. Pour vous, qui êtes certifiés pour faire des bâtiments respectant la norme Passivhaus, est-ce qu’une architecture écologique passe naturellement par les matériaux?

G.F/ Les matériaux c’est une empreinte et ça a un coût environnemental. Au Québec, le bois est une ressource locale de grande valeur et avec le label FSC, il a un cycle de vie plus écologique. Il est évident que le climat froid que nous avons exige une bonne isolation de nos bâtiments. L’isolation en cellulose est tout aussi performante que la laine de roche pour un meilleur bilan carbone. La fenestration est également un élément capital, car il s’agit d’un trou dans l’enveloppe donc c’est une perte considérable dans le bâtiment. NZP est le seul fabricant de portes et de fenêtres certifiées Passivhaus dans l’est de l’Amérique du Nord.

I.D/ Leur architecture a été qualifiée de généreuse. Ils disent eux même qu’on peut « être généreux et économique et qu’un espace plus généreux vaut pour tous les programmes, pour les équipements comme pour les maisons ou les logements collectifs, qu’ils soient neufs ou transformés. » (1) Qu’est-ce la générosité pour vous en architecture?

G.F/ Au Québec, où la densité n’est pas la même qu’en Europe, la générosité n’est pas qu’une question d’espace. Pour moi, il s’agit plus d’espace que l’on donne à un être humain, plus qu’à des pièces mécaniques.  Je suis en croisade contre les stationnements. Pourquoi vouloir protéger une voiture plus qu’un humain? Pourquoi occuper de la place - je parle ici des stationnements et des garages - lorsqu’on pourrait construire un logement pour une ou plusieurs personnes? La générosité c’est de revaloriser les espaces. C’est d’avoir des jardins partagés, de planter dans la ville des arbres fruitiers, comestibles, d’avoir plus de canopées, faire plus de place à la nature dans la ville.

PROJET DE QUINZHEE / PHOTO: 1Px

Canopée célèbre l’élégance et la grandeur de l’un des citoyens les plus âgés du quartier Saint-Sauveur que l'on peut apprécier Depuis les terrasses du dernier étage de chacune des unités. Implanté sur un lot traversant entre les rues Saint-Vallier Ouest et Saint-Bernard, le projet comprend cinq maisons de ville verticales dont les pièces de vie s’articulent autour d’une cour intérieure végétalisée commune délimitée par deux passerelles aériennes reliant les deux bâtiments.

I.D/ Ce prix Pritzker arrive après une année de pandémie et consacre des architectes qui prennent en compte le bien-être des usagers et font de la place à des principes d’écologie naturelle. Quel rôle pensez-vous que l’architecte a à jouer pour résoudre les défis qui nous attendent?

G.F/ Chaque jeune génération veut changer le monde, mais je pense que notre époque est particulière. On s’en va vers un mur et il faut plus que jamais mettre plus de sens dans nos projets. Il faut se demander quelles valeurs on veut prôner. Alors bien sûr on peut le faire en tant que citoyen, mais on a surtout beaucoup de pouvoir en tant que consommateur, et aussi en tant qu’entreprise. Chez Quinzhee, on s’interroge, on se positionne en se spécialisant dans le logement urbain, en allant chercher notre certification Passivhaus. On essaie de prôner par l’exemple.

Il y a beaucoup à faire au Québec. Si on regarde une province comme la Colombie-Britannique, le code du bâtiment ainsi que les lignes directrices du Building Step Code ont fixé l'objectif de rendre les bâtiments de la province 20 % plus efficaces d'ici 2022, 40 % plus efficaces d'ici 2027, et 80 % plus efficaces ou prêts pour le zéro carbone d'ici 2032. On est encore loin de ça ici, on pourrait travailler à mieux optimiser nos eaux de pluie, nos dépôts à neige comme isolant. Tellement de pistes sont à explorer pour une architecture plus soutenable. Mais un prix comme celui du Pritzker cette année nous montre qu’il est possible de faire preuve de créativité et d’humanité.

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(1) Extraits d'entrevue d'Anne Lacaton dans la revue L'Architecture d'Aujourd'hui 424

Photo de couverture: Projet Grand Parc par Lacaton & Vassal / Photo: Philippe Ruault