Défis et opportunités en design pour une population vieillissante

Défis et opportunités en design pour une population vieillissante

Comment concevoir un design qui soit à la fois de grande qualité et adapté aux besoins spécifiques des personnes âgées? Surtout dans cette période de confinement, il faut veiller à ce que chacun.e se sente bien chez soi. Virginie LaSalle, professeure adjointe à l’UdeM qui a étudié les environnements architecturés destinés à des occupants vulnérables, répond à nos questions.

Virginie LaSalle

Professeure adjointe à l’Université de Montréal en design d'intérieur – faculté d’Aménagement

Les personnes âgées sont aujourd’hui très différentes de celles qui les précédaient. Virginie LaSalle explique qu'elles n’ont pas la perception d’être des personnes âgées, mais des personnes qui veulent profiter de la vie. Elles veulent avoir une vie active et ne se voient pas en CHSLD.

Les hébergements destinés aux aînés sont souvent parfaitement adaptés aux besoins médicaux. Ils privilégient ainsi la fonctionnalité sur le bien-être, ne correspondant pas nécessairement au milieu de vie auquel aspirent les occupants. 

Virginie LaSalle constate qu’il y a parfois divergence entre l’image transmise des résidences pour personnes âgées dans les médias, soit des milieux de vie où on se sent bien, et la réalité où on ne se sent pas chez soi dans ces environnements. 

Des environnements signifiants

«Deux extrêmes: la maison qu’on habite depuis plusieurs années qui n’est pas du tout adaptée à de nouveaux besoins et des espaces très vastes, tout à fait adaptés à recevoir des soins, dans lesquels on se sent beaucoup moins chez soi» -Virginie LaSalle

L’un des principaux défis pour les designers dans le contexte d’une population vieillissante est de conserver des environnements qui soient signifiants pour les occupants. Avec le design, on peut donner plus de sens aux espaces, pour éviter que les occupants se sentent dans un endroit institutionnalisé, loin de ce qui leur apparaît être “chez eux”.

À quoi tient cette notion de “chez-soi”? «C’est lié à la notion de l’intime et l’intime se manifeste dans l’environnement bâti avec la séquence des lieux et des lieux intermédiaires, les seuils, qui délimitent des espaces où certaines personnes ont accès et pas d’autres. Le seuil, par exemple la porte, a une signification particulière: même quand c’est ouvert, ce n’est pas n’importe qui qui peut passer. C’est un lieu qui permet le passage, mais pas à tous», explique Virginie LaSalle.

La manière de planifier les parcours peut avoir un effet important sur la signifiance du lieu pour les résidents. «Pour créer des lieux signifiants, il faut avoir bonne compréhension de l’espace et des accès donnés aux résidents. Le personnel infirmier et médical a parfois des accès beaucoup plus rapides et faciles que les gens dans leur chambre. Dans ces cas, le résident se sent nécessairement moins chez lui», dit Virginie LaSalle.

Préserver l’intimité des résidents

Une prise de position est à la base de l’architecture domestique: le pouvoir est donné aux résidents. Dans les résidences pour personnes âgées, le pouvoir est parfois plutôt donné aux visiteurs et au personnel soignant.

Les grands corridors très larges seraient à proscrire. «Ça fait partie du langage architectural qu’on essaie d’éviter quand on veut enlever cette perception d’environnement institutionnel. Dans le corridor principal, tout le monde peut circuler. Tout le monde entre ensuite dans les chambres très facilement. Le seuil a été effacé dans cette manière de concevoir l’espace», dit Virginie LaSalle.

«Les designers doivent éviter de tomber dans ce piège de dicter des solutions d’environnement complètement adaptées, mais peu personnalisables aux occupants plus âgés» -Virginie LaSalle

Les résidences sont pensées pour qu’il soit simple pour le personnel d’offrir certains services comme les soins médicaux et la livraison des repas. «Il y a deux extrêmes: la maison qu’on habite depuis plusieurs années qui n’est pas du tout adaptée à de nouveaux besoins et des espaces très vastes, tout à fait adaptés à recevoir des soins, dans lesquels on se sent beaucoup moins chez soi», spécifie Virginie LaSalle.

La spécialiste propose de ne pas aller simplement à la rencontre de ces deux extrêmes, mais penser autrement pour redéfinir de nouveaux espaces. Des solutions créatives peuvent apparaître.

«Pour éviter que les gens de l'extérieur se sentent très à l’aise de circuler partout dans les logements et préserver l’intimité des résidents, une nouvelle pièce, comme un sas, peut être aménagée à l’entrée. Ça permet de distancier l’espace des soins du chez-soi», propose Virginie LaSalle.

Des milieux de vie évolutifs

Penser les environnements pour qu’ils soient évolutifs et présentent une bonne capacité à être adaptés aux gens à différents moments de leur vie représente une solution créative intéressante. «Il faut moins penser en termes de déménagements, mais d’un environnement qui lui-même peut évoluer en fonction des phases de l'existence. Il faut penser plus évolutif, construire pour la complexité et la pluralité des aînés qui sont d’abord des êtres humains aussi différents dans leurs valeurs et leurs intérêts que dans leurs modes de vie», mentionne Virginie LaSalle.

Les projets de co-conception et les coops d’habitation impliquant des aînés fleurissent et c’est une bonne chose selon Virginie LaSalle. «Les gens en position de vulnérabilité ont malheureusement tendance à s’adapter de manière résiliente et à accepter ce qu’on leur impose. Les designers doivent éviter de tomber dans ce piège de dicter des solutions d’environnement complètement adaptées, mais peu personnalisables aux occupants plus âgés», recommande-t-elle.

Image de couverture: via Pinterest