Martine Gévry et Joanne Parent: “Dans un hôpital on doit penser à l'expérience humaine”

Martine Gévry et Joanne Parent: “Dans un hôpital on doit penser à l'expérience humaine”

Le nouveau Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) a récemment terminé sa dernière phase de construction. C’est Jodoin Lamarre Pratte architectes, en consortium avec MSDL, qui a été mandatée pour la dernière étape de ce projet complexe qui dynamise le paysage du centre-ville. Les deux architectes ayant orchestré cette phase, Martine Gévry (JLP) et Joanne Parent (MSDL), nous en révèlent un peu plus sur cette ambitieuse construction et son intégration dans la ville.

ID - Pouvez-vous nous décrire un peu ce projet en termes esthétiques?

Martine Gévry - La dernière phase du nouveau CHUM est composée de deux impressionnantes tours vitrées de 15 et 16 étages et d’un amphithéâtre recouvert de cuivre. Le complexe s'étend sur deux quartiers riches sur le plan culturel —le Vieux-Montréal et le Quartier latin—, il est connecté au métro et il est entouré de visages urbains distincts : les gratte-ciel et la montagne à l’ouest, des quartiers résidentiels à l’est et le Vieux-Port et le fleuve au sud.. C’est le plus grand bâtiment qu’on voit quand on arrive de l’est, il est donc très visible et imposant. La signature visuelle extérieure est sobre, dans des teintes de gris et de bleu, mais la nuit, les contours se dessinent avec la lumière. On perçoit alors mieux les contours. Des œuvres d’art public sont également intégrées à l’architecture.

Joanne Parent - Au centre du campus, on trouve l’amphithéâtre, dont la forme a été inspirée par un cœur humain. Ce qui frappe visuellement, c’est son enveloppe de cuivre. Le cuivre est un matériau très présent dans notre patrimoine. Il a beaucoup été utilisé dans la construction de toiture et d’église. C’est un matériau noble et durable qui évoque tant le passé que le présent. À l’intérieur on trouve un escalier intégré dans un voile de cuivre perforé dans un motif créé numériquement. Le soir ces perforations agissent comme une lanterne laissant s’échapper la lumière intérieure.

© Adrien Williams

© Olivier Gariépy

ID - À ce propos, la lumière semble avoir été un élément important de la conception…

M.G. - Oui, il était important de créer différents lieux qui sont agréables. L’apport de lumière naturelle était crucial. C’est un élément qui, par le passé, a souvent fait défaut dans les centres hospitaliers. Qu’on y travaille ou qu’on vienne y passer un séjour, on a envie de se sentir bien dans un hôpital et la lumière naturelle contribue à un sentiment de bien-être. La fenestration permet aussi une vue sur le projet CHUM. On devait donc aussi penser à tous les angles qui seraient visibles de l’intérieur du bâtiment. D’ailleurs le dernier étage pour les traitements de chimiothérapie donne accès à une terrasse avec vue sur la montagne.

J.P. - Dans le cas de l’amphithéâtre par exemple, visible de tous les étages supérieurs, on a tenté de limiter au maximum la présence d’éléments utilitaires sur le toit.  On a inséré quelques petits évents dissimulés afin que la vue ne soit pas parasitée par les équipements. On a d’ailleurs remporté le Prix d'excellence en toiture Claude-Jacques de l'Association des Maîtres Couvreurs du Québec dans la catégorie 2 : Toits plats en 2021.

© Adrien Williams (Gwenaël Bélanger, « Trame de fond », 2021, impression sur miroir et aluminium)

© Adrien Williams

ID - Quels ont été les plus grands défis auxquels vous avez dû faire face?

J.P. - Les défis ont été nombreux. Le projet a d’abord été conçu par CannonDesign et NEUF architect(e)s à la phase précédente. Il a ensuite été confié à Pomerleau pour la phase trois. Notre premier défi était de bien intégrer les choix faits dans les premières phases. On devait bien comprendre la documentation, le développement et le concept, mais aussi la fonctionnalité. 

M.G. - Il fallait aussi ajuster le projet. Puisqu’il s’est étendu sur plusieurs années, différents éléments devaient être revus, bonifiés ou modifiés. Parfois, on devait s’ajuster à des réglementations qui ont évolué au fil du temps. Il fallait surtout garder une fluidité entre les différentes phases. Ensuite il y a tous les défis relatifs à la construction d’un hôpital. Nous avons une bonne expertise sur le sujet, mais il y beaucoup d'éléments à considérer. L’accessibilité universelle, l’ergonomie, etc. On a retravaillé la conception initiale pour peaufiner ces composantes.

© Adrien Williams

ID - Il était important pour vous de mettre l’accent sur l’humain dans ce projet, n’est-ce pas?

J.P. - Effectivement. Dans un hôpital on doit penser à l'expérience humaine. C’est important de créer des espaces hiérarchisés pour orienter les visiteurs. On joue avec les couleurs, les textures pour créer un sentiment de confort. L’abondance de lumière naturelle contribue à ce sentiment.

M.G. - L’expérience humaine se réfléchit aussi à travers la logistique, l’entretien, le choix des matériaux. La plupart des équipements ont été encastrés pour éviter des zones de poussière. Toutes ces considérations contribuent à en faire un endroit agréable, bénéfique autant pour les usagers que pour le personnel. L’humain au centre a été le premier adjectif de collaboration de ce projet. 

© Adrien Williams

© Adrien Williams (Gwenaël Bélanger, « Trame de fond », 2021, impression sur miroir et aluminium)

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Photo de couverture: Adrien Williams