La pandémie de la COVID-19 aura profondément remodelé le fonctionnement des espaces corporatifs et le rythme des entreprises. Alors que le télétravail se démocratisait doucement, le confinement quasi mondial de 2020 a obligé les entreprises à prendre le virage plus rapidement que prévu, ce qui a bousculé les codes bien installés des aménagements de bureaux.
Annie-Claude Gilbert, designer d’intérieur et associée chez LEMAYMICHAUD
Après plus d’une année en télétravail pour certains, il restera à définir si un retour à la normale est possible, ou au contraire, si le télétravail deviendra partie intégrante de la vie de bureau. Actuellement, aucune réponse claire n’existe mais la tendance semble se profiler vers un mode de fonctionnement hybride. Sans pour autant avoir de réponse à la question, Annie-Claude Gilbert, designer d’intérieur et associée chez LEMAYMICHAUD a tenté d'identifier les principaux enjeux actuels et d’analyser les tendances émergentes en aménagement d'espaces de travail post-Covid.
En quoi les codes ont-ils changé pour les espaces corporatifs ?
La création d’espaces de bureaux se doit désormais d’être chaleureux, aux aspects plus résidentiels / Petal MD par LEMAYMICHAUD
Autrefois, un espace de bureau était destiné à une fonction particulière, l’espace de travail était intimement lié et orchestré autour des fonctions, soit la nature de la tâche, l’efficacité mais aussi l’ergonomie. C’était une perception assez rigide du lieu. Ces dernières années, les aires ouvertes ont pris une place plus grande dans l’aménagement d’intérieur : plus collaboratifs, plus faciles d’entretien, ils procurent aussi une meilleure aération et davantage de flexibilité. Si nous nous étions désormais habitués à ce type d’espaces, voilà que la COVID-19 engendre une refonte profonde de l’aménagement d’intérieur au sein même des bureaux à aires ouvertes en nous forçant à repenser, entre autres, la circulation dorénavant perçue en circuit. La création d’espaces de bureaux se doit désormais d’être chaleureuse, aux aspects plus résidentiels, personnalisés et personnalisables, conviviaux et collaboratifs, inspirants et vivants.
Dans un futur proche, l'aménagement des milieux corporatifs devra être en mesure de s’adapter à une diminution du nombre de postes ou à l’inverse à une augmentation rapide, à la présence en alternance des employés et au besoin fondamental de lieux de socialisation. Ces points majeurs qui se dessinent dans les milieux de travail évolutifs introduisent une nouvelle façon de faire. Partout, employeurs, architectes et designers, se focalisent aujourd’hui sur l’analyse de la situation afin de dessiner les changements qui vont rester.
Quels enjeux se dessinent pour l’avenir ?
Qui n’a jamais dit avant la pandémie « J’aimerais travailler de la maison ! » ? Après un an ponctué de rencontres virtuelles chacun chez soi et de brefs et occasionnels retours dans les bureaux, il apparait de façon très nette que ce qui poussera en grande partie les employés à revenir au bureau est le manque de contacts humains, donc le besoin de socialisation, ainsi que le besoin de concentration.
Socialiser et collaborer sont des besoins intrinsèques de l’humain. C'est un constat auquel sont parvenus beaucoup de gestionnaires pendant la pandémie. Leurs équipes ressentent le besoin de connecter, de collaborer, de réfléchir ou encore de célébrer ensemble. Cette prise de conscience démontre bien l’importance de créer des espaces de bureaux prenant en considération ces besoins précis dans le futur, en offrant aux usagers des lieux plus flexibles et des espaces de rencontres informelles.
L’importance de créer des lieux plus flexibles et des espaces de rencontres informelles. Rendu du projet pour Kabane, agence de marques, Septembre Éditeur et iXmédia par LEMAYMICHAUD.
D'un autre côté, on retrouve des parents ou membres de familles nombreuses, dont les moments de solitude, de silence et de concentration ont été plus difficiles à trouver au cours des derniers mois. Ces personnes souhaitent revenir au travail afin de retrouver leur ‘bulle’ professionnelle, à la recherche de calme et d’une concentration accrue. Cela passera nécessairement par des environnements plus ergonomiques, plus ensoleillés, adaptés aux besoins personnels de chacun, mais surtout avec une acoustique impeccable développée spécifiquement pour chaque lieu.
Les aires ouvertes seront donc repensées pour assurer la sécurité des travailleurs en respectant les distances recommandées. / siège social de Prével par LEMAYMICHAUD
L’idée est donc de réfléchir un aménagement qui respectera à la fois la bulle personnelle de l’employé et son besoin de collaborer. Les aires ouvertes seront donc repensées pour assurer la sécurité des travailleurs en respectant les distances recommandées, tout en optimisant les besoins de calme et d’intimité.
De plus, les espaces collaboratifs seront omniprésents et offriront une multitude de possibilités et d’agencements (lounge, conférence, salons de visionnement, cabines isolées, cabines téléphoniques, etc.). Ce que nous retenons de la pandémie dans l’aménagement adapté d’un espace de bureaux
Les règles sanitaires mondiales ont tout chamboulé, jusqu’à la circulation dans les espaces de bureaux. De nouvelles réalités se sont vites installées et sont potentiellement là pour rester, quoique de façon moins rigide et réglementée.
Dans l'aménagement d'intérieur, il faudra augmenter le sentiment de sécurité de l’usager d’un bureau, de par la notion d’intimité territoriale (territorial privacy). De ce fait, une circulation à sens unique et réfléchi sera probablement à considérer afin de prévoir, gérer et contrôler les flux entre les bureaux. À la différence de la période de pandémie où de grandes flèches inondent les sols ou encore avec l'utilisation de panneaux directionnels, la circulation dans l’espace pourra être sciemment guidée par des plantes, objets décoratifs ou encore des classeurs pour diviser des zones de circulation élargies.
La propriété des postes de travail tels que nous les connaissons aujourd’hui sont-ils appelés à disparaître
Deux enjeux sont à considérer dans la façon de prévoir l'espace des bureaux corporatifs dans le futur. Le premier étant que l’espace doit pouvoir s’adapter à une fluctuation de personnel et la seconde touche au développement et la pérennisation du sentiment de sécurité des usagers et de leur bulle personnelle au bureau.
Une tendance se dessine au sein de plusieurs entreprises qui privilégient des bureaux non-attitrés. Depuis quelques années, l'apparition des tiroirs-caissons personnels avec portable personnel, que les employés roulent jusqu’à un poste vacant, porte à croire que ce mode de fonctionnement est déclinable.
Si certains sont impatients de retourner au travail, d’autres souhaitent conserver leur poste à la maison à temps partiel, voire même à temps plein pour certains. S’il faut rallier les deux au sein d’une même organisation, un fonctionnement de type hybride avec un roulement des employés en présentiel renforce l’idée de créer des espaces qui s’adaptent facilement. Si certains pouvaient se voir attitrer un poste fixe pour être en présentiel, d’autres pourraient jouir d’un poste réduit en taille pour les accueillir à temps partiel sur les lieux physiques.
Chose certaine, l’adaptabilité sera le mot clé de l’aménagement des espaces de bureaux de demain. Cette notion guidera l’aménagement des bureaux, des espaces communs et également des salles de réunion.
Avec le télétravail qui tend à rester dans les habitudes, il sera nécessaire de repenser les salles de rencontre pour tenir compte du besoin de connecter avec les employés à la maison. Pour maintenir la collaboration des équipes, cela demandera d’agencer l’espace différemment : davantage de petites salles de conférence et moins de grandes salles. L’utilisation de systèmes de murs amovibles risque de faire partie des dispositions d’aménagement afin de prévoir des remaniements de l’espace à moyen terme comme l’agrandissement d’une salle de conférence.
Pour maintenir la collaboration des équipes, cela demandera d’agencer l’espace différemment : davantage de petites salles de conférence et moins de grandes salles. RENDU DU PROJET POUR KABANE, AGENCE DE MARQUES, SEPTEMBRE ÉDITEUR ET IXMÉDIA PAR LEMAYMICHAUD.
L’acoustique aura également un rôle crucial dans le succès de cette solution. Comme mentionné précédemment, le confort acoustique des espaces sera désormais la pierre angulaire du bon fonctionnement des environnements de travail. En plus de pouvoir se connecter facilement et partout, il faudra pouvoir le faire sans impacter ses voisins.
Les futurs bureaux devront mettre le bien-être des usagers au centre de leurs aménagements. / Deloitte Québec par LEMAYMICHAUd. Crédit photo : Adrien William
Le dernier enjeu à prendre en compte, mais non des moindres, est celui touchant l’hygiène des lieux, la sécurité au travail et le sentiment de sureté. Qu’il soit question du bien-être physique, cognitif ou encore émotif, les futurs bureaux devront mettre le bien-être des usagers au centre de leurs aménagements. Dès les balbutiements d’un mandat, il sera primordial d’approcher la réflexion sur les notions de désengorgement, de circulations intelligentes et d’hygiène.
L’intégration d’un éclairage UV qui contribue à désinfecter les surfaces pendant la nuit, les matériaux antimicrobiens, les installations sans-contact (portes, armoires, w.c., etc.) sont toutes des pistes de solution qui feront dorénavant partie intégrante de la réflexion quant aux espaces de travail et de vie.
Qu’en est-il donc du bureau de demain ?
Difficile de définir exactement ce qu’il en sera. Néanmoins, avec le confort dont tous ont bénéficié durant les mois à la maison, les espaces devront être plus confortables, avec une ambiance plus ‘cosy’ apportée par des matériaux chaleureux. Le bureau de demain sera un espace de vie où l’occupant se sent chez soi, et où son bien-être et ses besoins sont au centre de son environnement.
Les espaces devront être plus confortables, avec une ambiance plus ‘cosy’ apportée par des matériaux chaleureux. / Covéo Québec par LEMAYMICHAUD. Crédit photo : Stéphane Groleau
Qui plus est, les gestionnaires devront s’attendre à faire bénéficier leurs employés d’horaires plus flexibles, à être à l’écoute de leurs réalités familiales, ce que le travail à la maison peut grandement faciliter. Si la méthode de gestion reste ouverte aux besoins d’adaptation des employés et évolue au rythme des nouvelles réalités, le bureau 2.0 revu et amélioré est à nos portes. Un espace hybride, où il fait bon travailler mais où il fait aussi bon croiser nos collègues ; où la notion de collectivité prend tout son sens et où les multiples espaces offrent des bénéfices plus grands pour les travailleurs que ceux de leur domicile.
En résumé, il reste toujours des zones floues quant à l’avenir des bureaux post-Covid et nul doute qu’architectes et designers devront s’asseoir avec les gestionnaires d’entreprises et les utilisateurs pour comprendre leurs besoins et réalités. Si certains voient d’un bon œil la reprise des activités, ceux qui insistent à conserver le confort de leur bureau à la maison poussent les designers à repenser l’avenir de nos espaces et revisiter les notions même de travail et de collaboration, et ce au grand bénéfice de tous.
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