Les boucaneries, un projet participatif présenté à La Biennale di Venezia

Les boucaneries, un projet participatif présenté à La Biennale di Venezia

L’intelligence collective au cœur de l’adaptation : L’Atelier Pierre Thibault et des résidents de l’Île Verte réinventent les boucaneries, un projet participatif présenté à la 19e Exposition internationale d’architecture de La Biennale di Venezia, dont le commissaire est Carlo Ratti. Sur une île isolée du fleuve Saint-Laurent, d'étonnantes installations élancées ont ravivé un pan méconnu du patrimoine vernaculaire québécois et permis d’envisager des nouveaux scénarios d’adaptation face aux changements climatiques. 

© Alex Lesage

Sur une île isolée du fleuve Saint-Laurent, d'étonnantes installations blanches, élancées, éphémères ont ravivé un pan méconnu du patrimoine vernaculaire québécois et permis d’envisager des nouveaux scénarios d’adaptation face aux changements climatiques.  Avec l’appui de la cinquantaine d’habitants permanents de l'Île Verte, l’Atelier Pierre Thibault signe un projet architectural participatif qui réinterprète les boucaneries – les anciens fumoirs de poisson – en canevas créatifs pour imaginer de nouveaux usages permettant de renforcer l’autonomie de l’Île Verte, entre serres communautaires, ateliers d’artistes et lieux de rencontre.

© Alex Lesage

Du Fleuve Saint-Laurent à la La Biennale di Venezia  : célébrer l’intelligence collective

Fruit d’un dialogue étroit avec la population locale, ce travail de terrain réalisé pendant plusieurs mois en 2024 est présenté en première mondiale à la 19e édition de l’Exposition internationale d’architecture à la La Biennale di Venezia sous la thématique Intelligens, dont le commissaire est Carlo Ratti, du 10 mai au 23 novembre 2025, soulignant la force d’un geste sensible et collectif en réponse à l’effritement du bâti traditionnel et aux défis climatiques majeurs pour les habitants qui résident à l’année en milieu insulaire isolé. L’Atelier Pierre Thibault est la seule équipe québécoise sélectionnée au terme de Space for Ideas, l’appel à projets international lancé du 7 mai au 21 juin 2024, qui a suscité une réponse mondiale massive.

« Présenter notre projet à la Biennale Architettura 2025, l’exposition internationale d’architecture la plus réputée et fréquentée au monde, est un immense honneur pour notre équipe et une grande fierté pour le Québec. C’est aussi un hommage profond aux habitants de l’Île Verte, dont l’ingéniosité, la résilience et la solidarité incarnent parfaitement l’intelligence collective que l’architecture d’aujourd’hui se doit de reconnaître et de célébrer. » — Pierre Thibault, architecte et fondateur de l’Atelier Pierre Thibault

© Alex Lesage

Vivre à l’Île Verte : entre enracinement et résilience, au rythme des marées et des saisons

Suivant la commande d’un projet de bibliothèque privée pour un duo féru d’édition et de littérature, les architectes de l’Atelier et les étudiants stagiaires de l’Université Laval de Pierre Thibault ont été appelés à côtoyer le territoire de l’Île Verte au fil de ses saisons. Située dans le fleuve Saint-Laurent, cette île de quatorze kilomètres de long se définit par ses plages rocheuses battues sans relâche par les vents du Nordet, par ses falaises surplombant le vaste horizon de l’estuaire et par une courtepointe de prairies pastorales et de forêts denses d’épinettes.

© Alex Lesage

© Alex Lesage

Marquées par une importante variation de sa population – les résidents permanents étant au nombre d’une cinquantaine seulement — ce territoire insulaire semble évoluer en marge du reste du territoire québécois, dans une bulle temporelle où les moyens et les besoins sont extrêmement spécifiques. En hiver, les glaces dans le Fleuve bloquent l’accès à l’île par traversier. Autrefois, un pont de glace permettait de relier l’île à la terre ferme.

Mais avec le réchauffement climatique,  les résidents doivent désormais transiter pendant cinq mois par hélicoptère pour aller sur la terre ferme, y faire leurs emplettes, voir leurs proches ou participer à des activités sociales. Tout comme les générations précédentes, la population de l’Île Verte doit ainsi trouver de nouvelles façons de s’adapter.

© Alexis Boivin

Les boucaneries : douze bâtiments singuliers

Au fil des visites sur Île Verte et des échanges avec les Verdoyants, douze bâtiments captivants furent (re)découverts. Appelés boucaneries, ces constructions vernaculaires inspirées des fumoirs ont été construites entre les années 1920 et 1980 de manière à ce qu’elles résistent aux conditions climatiques particulièrement rudes du territoire. Autrefois lié à la pêche à la fascine, le fumage du poisson était une activité économique et culturelle importante sur l’Île Verte. Prenant la forme de bâtiments sans fenêtre et aux proportions élancées verticalement, les boucaneries sont par la suite tombées en désuétude, les lois sur l’hygiène et le déclin de la pêche ne justifiant plus leur utilisation. Depuis, le vent, la neige et la pluie détériorent continuellement ces structures symboliques pour lesquelles aucun nouvel usage n’avait été trouvé.

Fascines - Archive historique

© Jean-Marie Cossette

Un patrimoine en péril, une communauté mobilisée

Un rapport produit en 2023 par l’architecte Pascal Létourneau, spécialisé en conservation patrimoniale, souligne que, sur douze fumoirs, quatre présentent une valeur patrimoniale exceptionnelle, et six une valeur patrimoniale élevée : leur verticalité, leur ouverture faitière, le système de baratins et leur mécanisme de contrôle de l’humidité sont des caractéristiques architecturales importantes à conserver. Malheureusement, la moitié des fumoirs sont dans un état de détérioration avancé, voire dans un état critique ou à risque, l’un d’eux s’étant même effondré il y a quelques années. De manière à soutenir le désir des Verdoyants de conserver ce patrimoine bâti et d’assurer sa pérennité, l’Atelier a entrepris un projet de design participatif visant à identifier de nouveaux usages pour ces boucaneries. Au cœur de la démarche :  Comment des témoins du passé pourraient-ils enseigner l’avenir ?

Fumoir - Archive historique

© Mireille Caron

L’autonomie, un enjeu crucial en milieu isolé, exacerbé par les changements climatiques

En discutant avec des habitants de l’Île Verte, plusieurs valeurs et objectifs de la communauté ont pu être liés à ce projet, tels que le fort sentiment de collectivité, l’autosuffisance alimentaire et l’intérêt pour les activités culturelles et artistiques.

© Alexis Boivin

Afin de faire un état des lieux en matière de résilience, les architectes ont révélé les initiatives existantes des Verdoyants envers leur communauté en matière d’autosuffisance alimentaire en produisant une carte de l’île. Parmi les activités identifiées : la pêche aux harengs et éperlans par Jacques, la production hebdomadaire d’une vingtaine de miches de pain au soja par Marie-Claire, l’élevage d’un troupeau de vingt agneaux par Anne et Charles, le poulailler de Michelle, le semencier collectif de Geneviève, les mets préparés et les viennoiseries de Nolwen et Régis, le miel, la lavande, les porcs, les framboises et les citrons de Véronique et Colin, la production d’ail par Mijanou et la serre de Gilbert qui produit des tomates.

© Alexis Boivin

L’architecture éphémère pour révéler de nouvelles relations entre le paysage, la volumétrie, les usages et la population

Afin de permettre aux habitants de visualiser certains usages envisagés, et de participer activement au processus d’idéation, les architectes se sont rendus sur l’île en septembre 2024 pour y réaliser une série d’installations éphémères revisitant les caractéristiques singulières des boucaneries, en plus d’organiser des séances d’échange avec les citoyens. Érigées en écho aux constructions vernaculaires, les nouvelles structures exploitent la simplicité et la rapidité de mise en œuvre des assemblages de bois contemporains. Le résultat, des ossatures élégantes et aériennes qui se dressent comme des visions inspirantes du futur en relation avec les différents paysages de l’île, permet de révéler de nouvelles relations entre le paysage, la volumétrie et la population.

© Alex Lesage

Utilisant le pouvoir d’abstraction des installations architecturales, ces nouvelles boucaneries se dessinent comme des canevas stimulants permettant aux Verdoyants de se réapproprier leur patrimoine bâti et culturel dans une posture engagée et tournée vers le futur. Légères et facilement transportables, les installations ont été déplacées de la grève aux champs et aux prairies, à la manière de créatures nomades et évocatrices.

Devant initialement être démontées au départ des architectes, des installations sont toujours en place, ayant été adoptées par la population comme une marque tangible du potentiel intrinsèque à leurs boucaneries, et permettant de garder vivante la mémoire collective et leurs valeurs insulaires.

© Alex Lesage

Un laboratoire d’idées en milieu insulaire pour identifier des nouveaux usages

Le travail en installation éphémère sur l’Île Verte a été productif : suite à ce dernier, plusieurs usages ont été identifiés afin d’assurer la pérennité des boucaneries. La typologie pourrait être adaptée en serre pour favoriser l’autosuffisance alimentaire et l’agriculture tout au long de l’année, en remplaçant le parement en bardeaux de cèdre par du polycarbonate et en exploitant l’ouverture faitière de manière à contrôler l’humidité intérieure.

Une autre avenue explorée a été de transformer un fumoir en espace de production artistique en perçant son enveloppe de quelques fenêtres et en tirant avantage des baratins pour y déposer poteries, canevas et rouleaux de photographies lors du séchage. Enfin, une autre structure pourrait simplement être mise aux normes contemporaines de prévention des incendies, permettant ainsi de revaloriser le fumage traditionnel du poisson, tout en préservant les pratiques culturelles et l’aspect patrimonial des bâtiments.  

© Alex Lesage

À la suite de la visite des installations le 11 septembre 2024, les résidents de l’Île Verte ont pu envisager de nouveaux usages pour leurs bâtiments emblématiques, ravivant ainsi leur attachement à ce patrimoine unique. Geneviève a proposé de transformer son fumoir en poulailler afin d’y héberger sa dizaine de poules. Louise a évoqué la possibilité d’utiliser un fumoir comme séchoir à ail, au bénéfice des récoltes de son concitoyen Mijanou. Enfin, Lyne a suggéré d’en faire un espace d’entreposage, ajoutant une option pratique à cette revalorisation collective.    

© Alex Lesage

Bien qu’éphémère par nature, le projet mené à l’Île Verte a laissé des empreintes tangibles et profondes. L’Atelier retournera sur l’île cet été pour poursuivre ce dialogue, dans la foulée des nombreuses idées concrètes émises par les habitants, notamment autour de l’autonomie alimentaire, un enjeu crucial en milieu isolé. Plus largement, le projet a permis la reconnaissance d’un patrimoine vernaculaire en péril, tout en favorisant la transmission intergénérationnelle des savoirs liés aux boucaneries.

© Alex Lesage

Du côté de l’Atelier, cette aventure collective a consolidé l’équipe, renforcé l’esprit d’initiative et nourri une vision d’une architecture profondément ancrée dans les réalités locales. À la lumière de cette expérience, l’architecture se confirme ici comme un outil de médiation sociale et culturelle, capable d’ouvrir des espaces de rencontre, de mémoire et d’avenir.

© Alex Lesage

« Nous affirmons que l'avenir de l'architecture repose sur une écoute attentive des milieux de vie, une profonde compréhension des savoirs locaux et une volonté d’innover de manière respectueuse et durable. » — Pierre Thibault, architecte et fondateur de l’Atelier Pierre Thibault

© Alex Lesage

© Alex Lesage

© Alex Lesage

L'Atelier Pierre Thibault est la seule équipe québécoise sélectionnée pour la biennale cette année. Une source de fierté et un hommage aux 50 résidents permanents de l'Île verte.

Le projet est à découvrir dans les pages du Guide 200 architectes et designers d'intérieur Québécois 2025, actuellement en pré-commande, à -15%.

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Photo en couverture : Alex Lesage