Fabrique1840 ou quand le design local rejoint la cour des grands

Fabrique1840 ou quand le design local rejoint la cour des grands

La Maison Simons a lancé cette semaine la nouvelle division à saveur locale de sa boutique numérique où il sera désormais possible de se procurer les dernières créations de plusieurs designers québécois et canadiens. Quelles sont les réalités entourant cette importante association entre les créateurs d'ici et ce joueur incontournable du commerce de détail ? Les acteurs touchés de près ou de loin par cette initiative nous révèlent leur position.

La Maison Simons décrit sa plateforme Fabrique1840 (le numéro évoque l'année de fondation de l'entreprise ) comme une «nouvelle communauté de vente au détail» proposant aux consommateurs une gamme de produits imaginés et créés par non moins d'une cinquantaine d'artisans canadiens. Mobilier design, accessoires décoratifs, trouvailles mode et papeterie de provenance locale font partie des produits maintenant offerts par l'entreprise familiale fondée à Québec.  

 « Le talent des créateurs canadiens et la qualité de leurs produits sont remarquables. Nous voulons leur donner un coup de main afin qu’ils vivent de leur art et contribuent à l’économie locale, explique Peter Simons, PDG de l'entreprise qui compte une quinzaine de succursales à travers la province et en Ontario. Le design canadien est digne de la même reconnaissance que le design scandinave ou japonais, et nous voulons participer à le faire connaître. »

Pour les créateurs, il s'agit bien évidemment d'une visibilité intéressante doublée de la possibilité de profiter d'une plateforme de cybercommerce déjà bien rodée. Une réalité qui n'est pas a négliger pour les designers, qui pour l'écrasante majorité, gèrent seuls les différentes étapes de production, allant de la création en passant par la promotion puis la vente.

« Nous croyons que cette initiative est géniale. Elle aide les créateurs d’ici à avoir une visibilité nationale, une plateforme de vente et une campagne marketing inimaginable. Simons est la bonne compagnie pour entreprendre ce genre de projet, car ils prônent depuis toujours des valeurs locales et font honneur aux talents d’ici, en plus d'être fiers de notre culture », croit Eveline Simard, responsable du développement des affaires chez Coop Établi, un collectif regroupant une vingtaine de designers locaux. 

Ce regroupement de Montréal spécialisé en création de pièces de mobilier propose sur le site de la Maison Simons un portfolio composé de produits déjà en vente sur leur propre boutique en ligne, mais offre en exclusivité le modèle de tabouret Tangent en chêne blanc. 

modèle tangent par coop établi 

On retrouve le même discours optimiste du côté de l'équipe de Jarre, un studio de design écologique fondé en 2014 par Élyse Leclerc et Gabrielle Falardeau. Les créatrices voient notamment cette collaboration comme une opportunité de faire grandir leur production, et qui sait, encourager une future création d'emplois. 

«Je crois sincèrement qu'il y a de la place sur le marché pour valoriser le design d'ici, et Simons est une grande chaîne reconnue pour supporter cette mission. En développant de bonnes relations avec des clients tels que Simons, on va chercher une plus grande clientèle à travers le Canada. Nous avons souvent l'impression que le design québécois s'adresse seulement à une niche particulière. Avec ce projet, on vient démocratiser le design et montrer qu'acheter ici, c'est facile et équitable », croit Gabrielle Falardeau. 

Contenants pour l'ail et le sel par jarre

 

Un tableau plus sombre pour les commerçants locaux ?

Façade de la boutique lola petite-bourgogne, dans le sud-ouest de montréal. 

L'arrivée de la plateforme Fabrique1840 ne fait pourtant pas l'unanimité. Elle n'est pas sans rappeler la compétition féroce qui se joue entre les différents distributeurs de ses trésors locaux. Alors que plusieurs petites boutiques ayant pignon sur rue un peu partout à Montréal et dans la capitale nationale se disputent déjà une part du marché en pleine expansion du «design d'ici», ce gros joueur vient sans détour corser le jeu. 

Pour Michelle Chamberland, propriétaire de la boutique d'objets design Lola Petite-Bourgogne - qui a ouvert ses portes au mois d'août 2017 - il est sans équivoque que la stratégie marketing de la Maison Simons fera mal aux plus modestes entreprises. 

« Simons a vu la tendance vers le local, l'intérêt renouvelé des consommateurs et la popularité du magasinage en ligne. Son pouvoir d'achat est bien plus important que les petites boutiques comme la mienne, qui pouvait au départ se démarquer en proposant des items de grande qualité faits par des designers et créateurs de talent de chez-nous. Là, il va probablement pouvoir vendre les mêmes produits à un prix compétitif, vu le volume de l'ensemble de ses ventes », croit la fondatrice de l'entreprise de la rue Notre-Dame, dans l'arrondissement Sud-Ouest de Montréal. 

Michelle Chamberland redoute également la force que détient une plateforme en ligne comme celle de Simons, qui offre un service imbattable à ses usagers, comme la livraison et les retours gratuits, et ce même si les commandes proviennent de régions plus éloignées. « Quelqu'un de Chibougamau va choisir Simons avant Lola Petite-Bourgogne pour commander le même banc à 465$... », donne-t-elle comme exemple. 

Tout n'est cependant pas perdu pour cette entrepreneure déterminée, qui compte miser sur l'achat physique, le déplacement en magasin, pour faire croître son commerce. « Je crois que les gens vont sur les sites web, comparent les prix, et viennent ensuite en boutique pour acheter ou pour voir le produit en vrai. » 

À l'heure où la popularité de la vente en ligne est loin de démordre, il s'avère néanmoins que pour les designers, une collaboration avec la Maison Simons représente une vitrine très pertinente pour se faire connaître sur un plus vaste territoire et auprès d'un plus large public.