CAPO par AtelierCarle

CAPO par AtelierCarle

Le projet situé non loin de Baie Saint-Paul dans la région de Charlevoix au Québec, propose une approche architecturale privilégiant le déplacement du corps dans l’espace. La résidence prend racine dans la qualité spécifique du lieu d’intervention: une falaise rocheuse, périlleuse et aux limites de l’habitabilité. 

La pente abrute de celle-ci, dangereuse et instable, offrait cependant une opportunité de repenser le processus de conception et d’y introduire une dimension critique, malgré le contexte de la commande résidentielle, et un approfondissement de l'approche de la firme au projet.

Contexte et approche d'AtelierCarle

Portant sur l’architecture résidentielle, la pratique d'AtelierCarle revisite sans cesse ses acquis dans le processus de conception et de réalisation et propose celle-ci comme laboratoire d’idées pouvant toucher le langage de l’architecture de manière plus générale malgré la modestie des interventions. 

Contrairement à une démarche tournée sur des aprioris programmatiques, l’approche conceptuelle privilégiée s’intéresse aux dimensions sensibles du corps, énoncés par la pensée d’un Pallaasma ou Merleau-Ponty, telle que la perception ou le mouvement dans l’espace. Cette vision, centrale dans la pratique de l’agence AtelierCarle, dénote une posture critique par rapport aux enjeux actuels. Elle privilégie la perception du lieu dans ses qualités essentielles, une perception constituée d’un oeil critique et informé, d’un point de vue culturel et environnemental.

Selon AtelierCarle, dans le domaine de l’architecture résidentielle haut de gamme, contrairement à ce que voudrait nous laisser croire notre environnement médiatique, peu d’innovations ont véritablement modifié les modes de vie des occupants et ce, depuis l’avènement du Plan Libre issu à la Modernité.

Mis à part le décloisonnement de la cuisine dans le champ perceptuel des espaces de vie, davantage issue de l’abandon de la structure de la maison bourgeoise avec ses domestiques, la structuration du mode de vie familial, en Amérique surtout, s’est surtout cristallisée autour du plaisir d’être chez soi.

Cette caractéristique s’est amplifiée avec le temps par la technologisation des composantes du logis, toujours dans une perspective de bien-être et souvent dans un asservissement du langage architectural, celui qu’on dessine, à des assemblages de considérations techniques ou stylistiques. 

La démarche de la firme cherche donc à recentrer le développement conceptuel sur les enjeux de la sensibilité, usant de la technologie comme support, ce qui offre une plus grande pérennité à l’oeuvre bâtie.

 

Un projet guidé par ces principes

Selon ces principes, le projet CAPO a été l’occasion de détourner subtilement certaines de ces structures spatiales très ancrées dans la culture du logis contemporain, en introduisant les contraintes du site comme une sorte ‘‘d’altérité’’ affectant la distribution des pièces.

Le rapport oblique du lieu, la falaise rocheuse dessinant la baie de la ville de Baie Saint-Paul, offre une opportunité, par le biais de la contrainte physique ou de la complexité de mise en oeuvre d’un tel site. Rappelant l’auteur Claude Parent, dans son célèbre ouvrage La Condition Oblique…

Élaboré dès le départ en coupe, le projet se dessine avant tout selon un tracé organique préexistant de circulations sur le périlleux site, initiant une logique conceptuelle de parcours plutôt que d’un agencement de pièces découlant des composantes programmatiques.

L’ancrage des espaces se fait tout au long de ce tracé, privilégiant le mouvement constant de l’usager d’un niveau à l’autre selon une succession d’escaliers. Ceux-ci se déploient par séquences variées, par orientations multiples, afin de raffiner une qualité de parcours au sein des espaces tant intérieurs qu’extérieurs. Le mouvement est donc central, tant par sa présence au niveau de la conception du projet que dans la diversification des points de vue qu’il procure.

Ces escaliers, selon leur amplitude, permettent à la fois de rejoindre les différents paliers du site, mais aussi de créer une subtile distinction entre les espaces adjacents décloisonnés. En insistant sur le parcours plutôt que sur le programme, le projet s’installe dans la nature instable de l’habiter avec un corps toujours en mouvement, se détournant ainsi d’une planification d’espaces selon des conventions d’agencements programmatiques.

Le projet se fragmente ainsi en plateaux de vie, aux formes et orientations variées, maintenant une certaine réciprocité avec le sol environnant tout en positionnant la grande vue panoramique sur le fleuve comme un des points de vue d’intérêt sur le site.

Ainsi, à la grande terrasse panoramique surplombant le fleuve Saint-Laurent s’ajoute le long du parcours d’autres lieux extérieurs aux accès directs depuis l’intérieur. Ceci permet alors une certaine diversification de l’expérience sensible du lieu, rendant celui-ci hétérogène et enrichie le rapport continu des occupants avec l’environnement immédiat. 

Ultimement, il relativise la prépondérance du paysage monumental du fleuve comme seul a priori du lieu et engage les occupants dans un rapport plus actif par rapport aux espaces extérieurs et ce, malgré le caractère périlleux de la falaise.

La logique de circulation du projet se déploie donc depuis le haut du site où se situe l’accès principal, qualifiée par une loggia s’ouvrant sur le fleuve Saint-Laurent.

Celle-ci permet du coup de traverser le bâtiment pour accéder aux terrasses faisant face au fleuve et ce, sans nécessairement pénétrer à l’intérieur du bâtiment. Plus bas sur le site, en fin de parcours des escaliers et terrasses extérieures, un dernier lieu s’ouvre sur un plateau naturel, ceinturé par la falaise et ses grands pins centenaires. Cet espace nous connecte alors à une fin d’un parcours naturel sur le site, préexistant à la construction du projet et constitue la fin du domaine appropriable de la falaise.

Maintenant démultiplié par les parcours intérieurs et extérieurs longeant et traversant le bâtiment de part et d’autre, le projet, avant d’être une expression stylistique, est avant tout un prolongement d’un trajet en oblique préexistant sur le lieu. L’intervention architecturale maintient ainsi cette caractéristique du lieu comme seul véritable mode d’appropriation. Le programme lui, ‘‘s’accroche’’ à cette structure de déplacement.

Un mode de construction particulier

Bâti selon un mode d’auto-construction par les propriétaires, le bâtiment a été construit lentement, sur une longue période, laissant place à une grande part de flexibilité de conception en intégrant les propriétaires de façon consciente au processus. 

La mise en oeuvre du projet sur le site s’est faite de façon progressive et délicate grâce à l’emploi de coffrages isolants permettant une séquence de coulées successives. Compte tenu de la difficulté d’appropriation de ce site où aucun arbre ne devait être abattu, le choix de cette technique de construction assurait le maintien des caractéristiques paysagères tant dans l’immédiat de la construction qu’à long terme.

Ce mode de construction robuste a permis de recourir à la maçonnerie de pierre afin d’arrimer l’expression architecturale à la qualité rocheuse de l’environnement. Assemblé de manière rustique, le format et le type d’agencement ont été choisis afin de répondre à la contrainte d’installation sur le site, un module relativement malléable dans le contexte précaire de la falaise.

Conçu un peu comme une succession de petites collines descendant en cascade le long de la falaise, la volumétrie résultante du tracé des circulations renvoient au grand paysage de la côte Charlevoisienne, où l’organicité des constructions rurales du dernier siècle se superpose à la vertigineuse rusticité du territoire.

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Crédit photos : James Brittain